Justice Rupture conventionnelle : les salariés n’ont pas le droit à l’erreur

Publié le par Conseiller du Salarié 51 - Reims

Justice Rupture conventionnelle : les salariés n’ont pas le droit à l’erreur

Laurent Paté, avocat en droit du travail à Metz.

Il est quasi impossible de revenir sur la signature d’une rupture conventionnelle. Même lorsqu’on a été déclaré inapte. C’est le sens de l’arrêt du 9 mai de la Cour de cassation qui admet une grande flexibilité dans le recours à ce dispositif.

Le droit du travail a émergé du droit civil au milieu du XIXe siècle au prix d’un effort constant fait de revendications ignorées, de grèves réprimées, de procès incertains et de négociations abouties.

Ce droit singulier exprime et imprime l’idée selon laquelle le contrat de travail n’est pas un contrat comme un autre. D’abord, parce qu’il engage la force de travail du salarié, son corps, sa santé et aussi la subsistance de sa famille ; ensuite, parce que – d’homme libre à homme libre – le salarié se soumet à l’autorité de son employeur moyennant un salaire.

On comprend alors que les deux parties au contrat de travail ne sont pas sur un pied d’égalité, ni lors de la signature du contrat – le salarié doit retrouver le moyen de faire subsister sa famille dignement –, ni lors de son exécution puisqu’il se soumet.

 

Le droit du travail s’est construit là, avec des juges qui ont interrogé cette relation contractuelle singulière. Alain Supiot, qu’il faut lire et relire sans cesse, explique cela dans « Critique du droit du travail ».

Rupture et lien de subordination

Cette situation de « soumission » consentie à la signature du contrat de travail, qu’en reste-t-il lorsqu’il s’agit de le rompre ?

L’employeur est tenu de « licencier » ; le salarié peut « démissionner » ou bien « prendre acte de la rupture » du contrat ou encore demander au juge de le « résilier », mais il s’ensuit une procédure longue et fastidieuse. L’employeur et le salarié peuvent aussi convenir d’un « commun accord », de mettre un terme au contrat de travail dans les conditions des articles L. 1237-11 à L. 1237-16 du code du travail : c’est la rupture conventionnelle.

Les décisions de justice qui annulent une rupture conventionnelle se comptent sur les doigts d’une main tant l’erreur, le dol ou la violence sont des situations exceptionnelles

 

Mais la loi n’efface pas l’état de subordination du salarié lorsque « d’un commun accord », les parties décident, ensemble ou non, de rompre le contrat.

Pourtant, la Cour de cassation s’est évertuée à désincarner la rupture conventionnelle en se fondant sur une lecture abstraite et sèche de la loi du contrat civil que l’on peut résumer ainsi : seuls l’erreur, le dol, la violence et la fraude sont susceptibles d’entraîner l’annulation de la convention de rupture du contrat de travail. Autant dire que les décisions de justice qui annulent une rupture conventionnelle se comptent sur les doigts d’une main tant l’erreur, le dol ou la violence sont des situations exceptionnelles.

Grande flexibilité de la rupture

La chambre sociale décide qu’une rupture conventionnelle est toujours possible même lorsque le salarié est en arrêt maladie simple, en arrêt pour accident du travail, ou en congé de maternité, alors que durant ces périodes son contrat de travail est suspendu. La Haute Cour valide aussi les ruptures conventionnelles signées alors que le salarié et son employeur sont en situation de conflit et même lorsque le salarié est confronté au harcèlement de son supérieur. Or, dans ces hypothèses qui ne sont pas des cas d’école, la signature par le salarié du formulaire de rupture de son contrat n’exprime pas une décision libre, mais une fuite ou une échappatoire avec pour consolation les indemnités de Pôle emploi et généralement l’indemnité minimale de rupture.

La Cour de cassation admet depuis le 9 mai que la rupture conventionnelle est aussi permise lorsque le salarié est déclaré inapte à son poste

La Cour de cassation admet depuis le 9 mai dernier que la rupture conventionnelle est aussi permise lorsque le salarié est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, même si l’inaptitude est d’origine professionnelle.

Une femme, employée d’élevage et couvoir dans un élevage de volailles, victime d’un accident du travail au service de son employeur, est à l’origine de cette décision. A l’issue de son arrêt de travail, le médecin du travail a estimé qu’elle ne pouvait pas reprendre son poste et il l’a déclarée inapte le 16 avril 2014.

Quelques jours plus tard, le 25 avril, elle a signé avec son employeur une convention de rupture du contrat de travail. Après réflexion, s’estimant lésée, elle a saisi le Conseil de prud’hommes pour faire annuler la convention et demander des indemnités. L’affaire est allée en appel. Mais la Cour de Bordeaux a rejeté ses demandes, jugeant que « la rupture conventionnelle ayant été homologuée par l’autorité administrative (la Direccte), elle ne pouvait plus être remise en cause ».

Le code du travail reconnaît aux salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et qui sont déclarés inaptes à leur poste de travail, certains droits, et le premier d’entre eux est d’être reclassé à un autre poste afin de préserver leur emploi.

L’employeur, en lien avec le médecin du travail, doit rechercher toutes les possibilités de reclassement du salarié inapte et consulter à ce sujet les délégués du personnel de l’entreprise – aujourd’hui le CSE. S’il n’existe aucun poste à proposer au salarié, le licenciement, pour inaptitude, est alors possible. Ce sont des dispositions d’ordre public.

Il faut ajouter qu’en cas de licenciement, le salarié peut prétendre à une indemnité spéciale de licenciement qui correspond au double de l’indemnité légale et aussi au payement de son préavis.

Pas de retour en arrière

L’autorité administrative (la Direccte) est insensible au contexte dans lequel est signée la convention de rupture. On ne peut lui en vouloir puisqu’elle l’ignore. Son contrôle relève de l’intelligence artificielle pure : ancienneté du salarié, convention collective et salaire de référence alimentent un algorithme qui permet de vérifier que le montant de l’indemnité de rupture versée au salarié est conforme à la loi. S’y ajoute une pincée de procédure : un entretien avant la signature du formulaire Cerfa et c’est homologué.

L’autorité administrative (la Direccte) est insensible au contexte dans lequel est signée la convention de rupture

 

Devant la Cour de cassation, la salariée invoquait le caractère d’ordre public de l’obligation de reclassement de l’employeur. Rien n’y a fait : « (…) Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que, sauf cas de fraude ou de vice du consentement, non allégué en l’espèce, une convention de rupture pouvait être valablement conclue par un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail ; que le moyen n’est pas fondé (…). » Voilà le sens l’arrêt n° 17-28767 du 9 mai dernier.

La salariée malade et inapte à son poste n’a pas le droit de se tromper. L’employeur a-t-il versé l’indemnité spéciale de licenciement et l’indemnité équivalente au préavis ? La Cour de cassation ne veut pas le savoir. En réalité, la « cause finale » de cette jurisprudence sans âme est là : faire en sorte que le juge du contrat de travail soit exclu du contrôle de la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Laurent Paté est avocat en droit du travail à Metz.

 

https://www.alternatives-economiques.fr/rupture-conventionnelle-salaries-nont-droit-a-lerreur/00089633

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